« Montréal et la mode » ou le défi des expositions dans des lieux inhabituels 19 juillet, 2010
Posté par francolec dans : "expo quand tu nous tiens",Arts visuels,blogue exposition,blogue muséologie,Commentaires expositions,Consommateur,expérience expositions,exposition,Exposition d'histoire,Expositions hors musée,Galerie Place-Ville-Marie,Histoire de la mode,Mode,Montréal et la mode,muséologie,opinions exposition,Yvette Brillon , ajouter un commentaire
Montréal comme d’autres villes, du moins je le présume, voit depuis plusieurs années le médium exposition sortir des musées pour s’insérer dans la vie quotidienne des citadins, dans ses rues, sur ses places publiques ou dans des espaces commerciaux. Qu’on le veuille ou non, le médium exposition n’appartient par qu’aux musées, galeries et lieux d’exposition patentés. Mes escapades estivales m’ont ainsi amené à l’exposition Montréal et la mode : tant d’années on défilé, dont on annonçait la présentation dans la « Galerie place Ville-Marie ». Le communiqué décrivait une exposition ambitieuse : « De la fourrure à la mode pour enfants, Montréal a su s’imposer au cours des dernières décennies comme un pôle essentiel dans le secteur manufacturier de la mode. Outre ce volet, l’exposition retrace également l’époque des grands magasins qui ont façonné le visage de la rue Sainte-Catherine, les premiers couturiers, les boutiques de patrons, les success stories comme Browns, Le Château et Reitmans et les incontournables comme Ogilvy et Dupuis et Frères, pour ne nommer que ceux-là. » Voilà une belle idée, car s’il y a un thème négligé dans notre histoire urbaine et culturelle, c’est bien celui-là, comme l’est encore la mise en valeur de son patrimoine (la vente et le don de la collection du Centre national du costume dans l’indifférence générale, il y a trois ans, à un moment de crise de l’industrie du cinéma, en fut le triste exemple. Fondé entre autres par le créateur François Barbeau et dirigé pendant longtemps par Denyse Clermont, aujourd’hui à Culture pour tous, cet organisme avait constitué une grande collection de costumes de tous les jours pour les films et le théâtre. Comme membre du c.a., je fus témoin de cette fin douloureuse.)
Disons tout de suite que pour ce que j’en ai vu, la facture de l’exposition est sobre et élégante, et ses textes courts, bien écrits et informatifs, comme il se doit. Elle est surtout composée de panneaux montrant des photos d’archives, des portraits de créateurs et de créations, toutes de grande dimension. L’expérience de visite confirme, s’il le faut encore, combien l’exposition et son lieu sont un couple indissociable dont la dissonance peut causer quelques problèmes au visiteur. On me pardonnera de ne pas fréquenter les souterrains commerciaux de Montreal, une de ses attractions touristiques semble-t-il, mais je croyais que la « galerie Ville-Marie» en était une véritable. Pas du tout. Il s’agit en fait des larges couloirs situés sous la place Ville-Marie et bordés de commerces plus ou moins chics les plus diversifiés.
On nous annonçait que l’exposition y prenait place dans sept lieux. En fait, elle se dispersait sur les colonnes qui parsemaient le couloir, sur les mezzanines surplombant les comptoirs alimentaires et les espace de repas. Un des thèmes, (peut-être plus), prenait place dans un espace commercial inoccupé consacré à l’histoire du magazine Clin d’œil à travers l’exposition de ses couvertures surdimensionnées et de quelques archives plus anciennes, notamment sur la chapelière et modiste Yvette Brillon. Faute de plan, l’éclatement de l’exposition a eu raison de mon intérêt, comme l’attention acrobatique qu’exigeait la contemplation des photos des mezzanines, de même que la chronologie historique désarticulée et par conséquent déroutante pour un néophyte de la mode. Faute d’orientation, peu intéressé à fréquenter pendant des heures un couloir commercial et à paraître un peu hurluberlu lorsque je m’arrêtais au milieu des consommateurs pour regarder les grandes images accrochées en hauteur, j’ai déclaré forfait après une demie heure et sans avoir vu le cinquième de ce qu’on me proposait.
Quoiqu’on n’y pense pas spontanément, l’exposition est aussi une expérience de l’espace dont l’architecture (espace ouvert, intime, écrasant, ou labyrinthique etc.) et son impact physique déterminent plus qu’on le croit les perceptions du visiteur. Les musées et autres lieux dédiés en permanence aux expositions doivent aussi composer avec des contraintes architecturales. Le défi est toujours d’utiliser ces contraintes pour soutenir l’atmosphère esthétique, rédactionnelle, visuelle et scénique de l’exposition tout au long du parcours. L’accessibilité et le confort physique de l’exposition demeurent incontournables – niveau du regard, lisibilité des textes, postures de lecture et de contemplation, limitation des nuisances sonores et autres, de même qu’une signalisation d’introduction pour faire comprendre au visiteur les règles et paramètres de l’expérience proposée. L’expérience démontre que parfois, la présence de personnel d’accueil est essentielle pour orienter le visiteur.
La dite « Galerie » est d’abord un espace commercial, voilà ce qui constitue sa force et son principal défaut comme lieu inhabituel d’exposition. Si l’idée de l’investir est excellente, l’intention sous-jacente au projet était probablement de favoriser la déambulation et le contact avec l’autre exposition, commerciale celle-là. Il semble que cette louable intention ait poussé un peu trop loin son intégration aux lieux, au point de la déstructurer et d’en faire à certains moments un simple décor. S’il faut continuer à retrouver à Montréal de telles expériences, oser choisir des lieux inédits et fréquentés, il faudrait le faire cependant avec toutes les précautions que cela demande. En somme, pour les concepteurs mais surtout pour les gestionnaires immobiliers qui les appuient, cela signifie que l’exposition doit oser affirmer sa présence dans l’espace et auprès de ses usagers habituels, en lui imposant lorsqu’il le faut, les conditions nécessaires pour atteindre ses objectifs de communication. À suivre !
Jean-François Leclerc
Muséologue