Cher Pierre, altermuséologue 30 mars, 2011
Posté par francolec dans : blogue muséologie,écomusée,MINOM,Pierre Mayrand , ajouter un commentaireTu étais pour plusieurs déjà un souvenir, tu es aujourd’hui une poussière d’étoiles qui scintillent dans le cœur et l’esprit de tes amis et collègues. La maladie t’a emporté, mais tu la vivais comme si elle n’existait pas. Courageux, même si tu n’aurais pas aimé qu’on te le dise. Tu souffrais de n’être plus la fougue incarnée de ton passé, un passé dont j’ai entendu parler mais dont les fruits sur cette terre québécoise étaient bien trop discrets pour qu’on te les attribue. La Portugal de ta dulcinée t’avait écouté, respecté, ouvert des territoires d’expérimentation qui t’ont permis de poursuivre une œuvre, une pensée ici fondue dans la pratique muséologique commune.
Don Quichotte, comme le disait un de tes collègues venus te rendre hommage ? Prophète dans le désert à la parole idéaliste, comme je te l’avais dit à l’occasion ? Certainement, ton audace parfois sans lendemain, tes appels écrits au dépassement muséologique et récemment, à l’altermuséologie, étaient des cailloux lancés au monde muséologique international et québécois qui pour diverses raisons, se contente parfois de ses indéniables acquis.
Au début des années 1990, j’avais découvert dans le cadre de ton cours sur les nouvelles muséologies, que le musée et ses outils de communication pouvaient être au service de la population et pas seulement d’un marché touristique et culturel. Tu étais un peu brouillon Pierre, et pas toujours un bon communicateur, mais tu arrivais à convaincre par ton honnêteté et ton exemple.
Plusieurs années s’étaient écoulées avant qu’on se revoie au cours des années 2000 dans le contexte du défunt Forum québécois du patrimoine. Déjà touché par le sournois désordre cellulaire qui t’emporta, mais bien déterminé, tu avais continué de collaborer et de détonner avec plaisir. Peu à peu, tu m’as convaincu de me rapprocher du MINOM et de participer, de loin, à sa réflexion et à quelques rencontres internationales. Ce n’était pas pour moi évident, car je conservais de la muséologie sociale une image très engagée, radicale même, dans laquelle ni mon institution ni ma pensée ne correspondaient tout à fait. Le contact avec toi fut ponctuel, pas soutenu, mais suffisant pour entretenir la conviction que tu incarnais, que le musée pouvait jouer un rôle social et avoir un impact sur les citoyens. Tu portas sans fléchir ce message malgré plusieurs déboires personnels et professionnels, avec une reconnaissance répétée de collègues partout dans le monde.
Comme d’autres collègues, j’ai été invité au Portugal où tu demeurais et travaillais une partie de l’année. J’ai partagé un peu de ton quotidien, échangé avec toi et ce faisant, plus ou moins consciemment, mieux campé mes propres valeurs muséologiques, à la fois en harmonie et éloignées des tiennes. J’ai appris à mieux te connaître, au point de pouvoir te parler franchement et même, à certains moments, à te reprocher de ne pas écouter suffisamment. Comme d’autres, je t’ai accompagné lors de ta rechute des Fêtes 2009-2010, où tu as failli faire ses adieux au monde. Tu as survécu, renaissant encore à tes rêves, à ton goût d’écrire, de partager ta vision. L’automne dernier, grâce aux efforts de René Binette de l’Écomusée du fier monde et de René Rivard, de Cultura, ta candidature avait été présentée pour le prix Carrière, que tu as reçu, pour la plus grande joie de tes collègues et amis. Une reconnaissance ultime de ton propre pays québécois que tu attendais depuis longtemps.
J’aurais aimé te revoir, avant ton départ ultime. Tu as voulu vivre les derniers moments avec tes proches. Nous ne savions même pas que tu étais revenu à Montréal. Tu seras là désormais par tes écrits, les souvenirs, et des rencontres qu’il faudra bien organiser autour de ta vision. Le courant de pensée que tu représentais touche beaucoup de muséologues, ici et ailleurs. Mais qui incarnera désormais cette parole ?
Au revoir, Pierre.
Jean-François
Muséologue
Muséologie cubaine et perplexité touristique 15 mars, 2011
Posté par francolec dans : "expo quand tu nous tiens",Cuba,Musées cubains,Tradition muséale , ajouter un commentaireOn ne va pas à Cuba pour ses musées, mais difficile pour un touriste de ne pas s’y retrouver au moins une fois, question de couper un peu le farniente du tout compris. Cette fois, le MUSEO FARMACÉUTICO et le MUSÉE PROVINCIAL DE MATANZAS. Matanzas est une petite ville dortoir (selon une cubaine de l’endroit), située entre Varadero (à quarante minutes) et La Havane. Autrefois favorisée par l’économie sucrière, elle est aujourd’hui un peu endormie, mais un touriste ne s’en plaint pas. La ville est sympathique, on s’y promène sans susciter aucune curiosité comme si on en faisait partie.
Le musée pharmaceutique à Matanzas
Le musée pharmaceutique est un objet rare créé au 19e siècle et pratiquement inchangé depuis, tant dans son architecture que son mobilier, son aménagement intérieur, ses produits, instruments et contenants. Voyons ce qu’en raconte le Petit futé : « Officine fondée en 1882 par Ernest Triolet, praticien français, et Dolorès Figueroa, première pharmacienne du pays. Ce couple franco-cubain tenait là l’une des plus belles pharmacies du pays, qui fermera ses portes en 1963 et sera transformée en musée en 1964 ; l’un de leurs fils occupera le premier poste conservateur. » La nièce du fondateur sera la muse du poète Aragon, Elsa Triolet. La visite était guidée par une sympathique dame de cette ville qui, de manière assez sommaire, déclina l’histoire du lieu et décrivait les objets du lieu, sans plus.
Le musée provincial avait aussi ce caractère étonnant d’un lieu figé, avec une muséographie d’un autre âge misant sur des objets vaguement regroupés dans des salles thématiques. Il semblait évident que ce musée avait été formé par des sociétés savantes comme on en connaissait dans toutes les colonies au 19e siècle, formée de colons ou de nationaux qui, selon leurs intérêts scientifiques collectionnaient des objets rares, des reliques historiques, des coquillages et autres spécimens de la faune locale, du mobilier ancien et même, le corps momifié naturellement d’une femme décédée de tuberculose (je crois) et inhumée dans un cimetière dont le sol l’aurait naturellement embaumée. Une très jeune et pimpante guide en uniforme blanc et rouge nous accompagnait. Elle avait mémorisé trois ou quatre informations qu’elle nous transmettait et dont il ne fallait pas la distraire. Une guide plus âgée vint prendre la relève, mais en dépit de sa gentillesse, nous servit aussi un propos très descriptif et sommaire.
Tout de même, quelle chance d’être par ces guides en contact avec des « vrais » Cubains qui, sans hésiter, vous parleront de leur vie quotidienne, de leur famille, de la ville, un contact irremplaçable quand on veut connaître un pays de manière plus authentique. C’est peut-être ce qui restera imprimé le plus fortement dans la mémoire d’un visiteur.
Si cet aspect de la visite est sympathique, les musées et maisons historiques que j’ai visités à Cuba au cours de 8 ou 9 voyages de vacances, me laissent toujours un peu perplexe. Pourquoi une mise en valeur si ancienne, parfois si négligée, si peu communicative et attrayante ? Quel est le rôle de ces institutions depuis la Révolution? On comprend qu’il y a d’autres priorités. Pourtant, la communication muséale n’est pas seulement affaire d’argent et de technologie coûteuse. Des dizaines de milliers de touristes entrent dans ces musées qui pourraient être des moyens formidables de faire comprendre l’évolution de cette société, le caractère de ses habitants et faire changer le regard de colonisateurs candides que les touristes du nord portent trop souvent sur ce pays qu’ils connaissent mal. Les guides seraient une des clés de cette communication. La question reste ouverte.
En attendant, on peut lire les articles d’Anik Meunier et d’Alain Caron, de l’UQAM, qui collaborent avec ce pays dans le cadre de projets de mise en valeur et de médiation du patrimoine bâti. En ce domaine, les projets et idéaux cubains pourraient inspirer nos urbanistes intéressés par la mise en valeur des centres historiques au profit des populations qui les habitent et pas seulement de ceux qui auront les moyens d’y vivre après leur restauration.
http://teoros.revues.org/84#tocto1n5
http://lasa.international.pitt.edu/members/congress-papers/lasa2009/files/MeunierAnik.pdf
Jean-François Leclerc
Muséologue
Le faux portrait de Jeanne Mance ou les interprétations historiques au musée 7 mars, 2011
Posté par francolec dans : blogue muséologie,Histoire,Image au musée,Jeanne Mance,muséologie , ajouter un commentaireAujourd’hui, la Ville de Montréal annonçait son intention de reconnaître le rôle de Jeanne Mance, une Française venue en 1642 aux côtés du soldat Maisonneuve pour fonder Ville-Marie, fort missionnaire à l’origine de Montréal. À la télévision, on nous montra pour la représenter un portrait bien connu du personnage, à la mine soumise et éteinte, du genre vieille fille un peu coincée. Gravé au 19e siècle et tout à fait fantaisiste, ce portrait est en effet devenu officiel à force d’être repris. Il est toujours étrange de constater combien l’image ancienne échappe souvent à la critique qu’on applique pourtant aux écrits et aux photographies contemporaines avec plus de rigueur. Pourtant, toute image est porteuse d’un message qu’il serait bien de décoder (voir ce lien de la Bibliothèque et archives nationales à ce sujet.)
http://www.banq.qc.ca/ressources_en_ligne/branche_sur_notre_histoire/personnages/imagerie.html
Cette actualité commémorative me permet de faire une association télévisuelle peut-être un peu tirée par les cheveux, mais qui sert bien mon propos. Allons-y. À Télé-Québec, la semaine dernière, le premier de la série documentaire Bienvenue dans le nano monde faisait état des recherches récentes en nanotechnologies, notamment celles portant sur le carbone, un élément fondamental de notre planète. On y parlait notamment d’un microscope qui permet de voir la surface de la matière comme un fascinant arrimage de particules, ceci faisant permettant d’imaginer qu’un jour, les objets ne seront plus produits par l’assemblage de blocs de matière, mais atome par atome. Un des scientifiques fit cette observation: autrefois, la matière était représentée par des symboles (chimiques et autres) et des schémas. Les images de l’infiniment petit obtenues par ces microscopes donnent des images saisissantes et plus proches de la réalité que celles des publications d’antan. Bien sûr, elles sont imparfaites comme toute représentation, comme le souligne le chercheur, et peuvent être parfois trompeuses. Pourtant, disait-il, elles sont nécessaires. En effet, selon lui, les chercheurs, comme tous les humains, ont besoin de ces représentations pour concevoir de nouvelles idées.
http://www.telequebec.tv/documentaire/documentaire.aspx?idCaseHoraire=102035182§ion=presentation
L’exposition permanente du Centre d’histoire de Montréal
Le musée d’histoire agit aussi comme ce microscope, mais de manière beaucoup plus artisanale. Il assemble des fragments de connaissances et de concepts historiques parfois complexes pour reconstituer le passé, le rendre perceptible et sensible. Pour y arriver, il tente de constituer un récit continu qu’il veut lisible et cohérent, à partir de textes, d’images et d’objets très divers disposés dans l’espace muséal. En cherchant à donner au visiteur l’impression d’un récit continu, malgré les contradictions et les trous de la recherche historique, le musée propose ce faisant, des interprétations de l’histoire qui ne sont pas toujours en concordance parfaite avec celles des historiens spécialistes sur lesquels il appuie son travail. Qui prend le temps de les décoder ? Rares pourtant sont ceux qui se sont penchés sur ces questions, sinon peut-être ici, Claude-Armand Piché, anciennement de Parcs-Canada. Donc, appel à tous, chercheurs de toutes disciplines, la matière ne manque pas !
Jean-François Leclerc
Muséologue