Musées d’histoire montréalais et histoire nationale : un pudique silence? 18 octobre, 2011
Posté par francolec dans : Non classé , ajouter un commentaire
Photo : – archives Le Devoir
Portrait de Louis-Joseph Papineau, gravure sur bois de Marguerite Giguère (1937)
http://www.ledevoir.com/culture/livres/328821/la-couette-du-tribun
Depuis quelques semaines, un débat anime le monde des historiens. Il ne faut pas s’en plaindre. L’histoire se contente trop souvent le rôle d’amuseur public dans toutes ses manifestations…publiques, justement, entre autres par la magie de nos activités muséales et éducatives. Disant cela, je ne dénigre pas notre travail de vulgarisation de l’histoire, auquel je crois depuis longtemps, malgré ses limites et ses travers. Alimentant le flot des activités déjà nombreuses de la scène culturelle montréalaise, nous devons néanmoins nous rendre à l’évidence : nous œuvrons dans le monde de l’éphémère et du plaisant alors que nos ancêtres muséaux privilégiaient la lenteur et la sèche connaissance.
Les musées ont coupé depuis longtemps le lien étroit qui les liait à leur discipline de base et aux institutions qui en dispensaient le savoir, même si depuis quelques années, un certain rapprochement s’est dessiné. Les institutions muséales du Québec, pour la plupart, ont été créées ou profondément réformées depuis trois décennies tout au plus. La tradition nous importe donc peu, même si on continue de la respecter, en particulier en ce qui touche la mission de conservation et d’éducation traditionnelle. Cette autoréférence des musées et de la muséologie à son propre monde et à notre propre discipline permet de construire peu à peu un domaine professionnel avec ses propres standards et pratiques. l a toutefois l’inconvénient de nous tenir à l’écart des débats qui – plutôt rarement sur la place publique – font discuter les historiens. C’est dommage pour ne pas dire dommageable.
La plupart des musées d’histoire sont soucieux de faire de l’histoire en respectant les standards de la discipline. En cours d’élaboration, cependant, sous la pression du processus trop rapide d’élaboration et des budgets, le besoin de bien communiquer et de plaire l’emporte souvent sur la nuance et le souci de respecter la complexité de l’histoire et de faire état des divergences historiennes. La nécessaire simplification qu’entraîne la communication au plus grand nombre et les débats scientifiques ne vont pas nécessairement ensemble. Ce n’est pas une raison d’y être indifférent. Les musées de science les exposent, pourquoi pas les musées d’histoire?
Le Devoir et d’autres journaux ont publié plusieurs textes opposant les tenants d’une histoire nationale – et politique, qui se plaignent du déclin de cet enseignement au profit d’une histoire sociale et culturelle, et ceux qui défendent ce courant de la discipline qui domine depuis des décennies. Rares sont les historiens formés aux exigences de la « nouvelle histoire » qui n’ont pas été influencés et attirés par cette manière de connaître les sociétés humaines dans toute leur complexité. Les musées d’histoire en grande majorité ont précédé et emprunté cette voie, privilégiant les objets et traces du quotidien aux grands événements et personnages du récit national, qu’il soit canadien ou québécois. Les plus anciens musées montréalais comme Ramezay et McCord avaient été fondés en tout ou en partie sur cette volonté de conserver les preuves de l’épopée nationale et ses héros. Nous n’en sommes plus là.
Cependan t, force est de constater qu’à part les musées nationaux, nos institutions ont tendance à évacuer toute référence à la politique et aux débats qui ont marqué et marquent notre histoire. Recherche de consensus oblige. Est-ce que l’intérêt pour l’expérience humaine au quotidien signifie automatiquement l’absence de perspective collective? Denyse Baillargeon, dans une réplique à Éric Bédard, soulignait que la question nationale est très souvent soulevée par des travaux qui semblent, à première vue, ne porter que sur un sujet culturel ou touchant la vie quotidienne, comme dans un des ses ouvrages, l’évolution de la conception de la maternité et de la natalité (Un Québec en mal d’enfants).
Moi-même, au cours de la recherche sur l’histoire de la Sûreté du Québec (non publiée, malheureusement), je constatais combien les aléas administratifs et identitaires de la. « Police provinciale » tenaient presque toujours à la conception que se faisaient de l’État québécois les gouvernements successifs : de la forte gendarmerie nationale sur le modèle militaire des premiers ministres Pierre-Joseph Olivier Chauveau, Maurice Duplessis et Jean Lesage, aux corps policiers sur le modèle civil ou judiciaire d’autres époques, plus ou moins faibles selon le cas.
Lorsqu’on Centre d’histoire, nous racontons en cours de visite l’histoire des Montréalais, il serait bien difficile de faire une distinction entre les groupes qui ont habité et bâti cette ville. Montréal se présente souvent dans notre récit muséal comme une île, géographiquement parlant, mais aussi socialement, comme si elle n’était pas reliée à la société qui l’a nourrie et développée, que ce soit le Canada ou le Québec. Les colons français deviennent dans ce récit un groupe ethnique parmi d’autres ayant apporté leur contribution puis… au suivant! Le silence sur la/les nations auxquelles elles se rattachent autant que sur les questions que le débat national peut susciter, sont plus facile à passer sous silence qu’à expliquer. Probablement parce leurs échos encore vifs ne permettent pas de l’aborder sans une certaine passion. Ceci n’enlève rien au fait qu’un récit national s’est construit et une nation s’est constituée avec un noyau central, fort, déterminant, à l’identité culturelle forte et reconnaissable, quoiqu’on en pense.
Le musée d’histoire est-il un lieu de réflexion et de questions, même difficiles, ou un simple divertissement intelligent entre une crème glacée et une promenade romantique? Ne pourrait-il pas être les deux?
Jean-François Leclerc
Historien et muséologue