Le métissage culturel, mode réalité ou mythe culturel? 22 mars, 2012
Posté par francolec dans : Non classé , ajouter un commentaire
Pour un musée d’histoire, la question de l’identité est une incontournable question qu’on doit poser au
récit muséal. Plus qu’une suite de faits et de dates, c’est ce qui permet de
sous-tendre un récit qui lui-même peut à son tour questionner celui à qui il
est destiné.
Il n’est pas facile de cerner l’identité de la métropole du Québec. Multiple, distincte et partageant
pourtant les traits de nombreuses grandes villes nord-américaines et
occidentales. Diversité culturelle, vie culturelle intense, cohabitation de
groupes diversifiés, deux cultures et langues fortes, innovations et marges, et
quoi d’autre encore qui ne soit partagé par toute ville de dimension et d’un
dynamisme similaire. La réponse n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît.
La référence à la multiethnicité de la ville comme trait
distinctif au Québec en est un bon exemple.
On l’invoque souvent en parlant de métissage culturel, un phénomène
qu’on aime bien associer à la modernité. La culture, notamment musicale, est
peut-être ce que le contact entre des cultures a pu donner de plus beau. La musique traditionnelle québécoise avec ses
fortes influences celtiques en est un bon exemple.
Une histoire de domination?
Il faut cependant constater que, historiquement,
le métissage culturel profond vient rarement d’un simple contact léger et
persistant entre plusieurs cultures. Le territoire, le climat, l’environnement
peuvent aussi provoquer des modifications importantes des cultures (la culture des
Français immigrés en Amérique en témoigne, dès l’époque de la Nouvelle-France).
Dans ce cas, le transfert culturel sera probablement superficiel, chacun
conservant ses habitudes, ses traditions, quitte à faire quelques emprunts
culturels ou culinaires, les intégrant ponctuellement à ses propres pratiques.
Lorsqu’il marque la culture d’un territoire ou d’un peuple, le métissage découle
souvent de contraintes diverses et d’oppressions plus ou moins subtiles,
qui par la force, la loi, la persuasion, la domination culturelle, économique,
l’éducation nationale, la mode, les unions légales, libres ou forcées, impose à
divers groupes une cohabitation et une fréquentation obligée en les
marginalisant ou en les dominant. Pensons à ce qui a donné naissance à la forte
culture noire américaine et à la culture mexicaine fortement influencée par le
monde autochtone, ou encore à la culture
brésilienne, sans oublier la culture québécoise, si marquée – qu’elle le
reconnaisse ou non – par la culture britannique et par l’américaine..
Montréal, ville divisée ou creuset d’une nouvelle culture?
Dans le cas de Montréal, peut-on parler de métissage qui prépare la naissance d’une nouvelle culture? Si les
frontières d’antan sont devenues plus perméables, on aurait probablement du mal
à identifier clairement comment et où se joue ce phénomène qui, en d’autre
pays, est créateur de cultures spécifiques et originales. Oui, chaque groupe
apporte ici ses traditions et ses manières d’être mais elle les vit surtout au
quotidien dans l’intimité de son foyer, de sa famille, de ses associations. Quelques points de rencontre urbains mettent
en contact les uns et les autres de manière pacifique mais superficielle; des centaines
de restaurants font goûter les traditions du monde, la musique du monde se
diffuse partout. Mais peut-on parler d’influences culturelles réciproques? Comment
les cultures immigrantes bien vivantes, visibles de Montréal ont influencé
durablement celles de la majorité, hormis les traditions culinaires et la
couleur de leurs fêtes? Parfois, l’architecture a été modifiée, adaptée aux goûts des uns et des autres, comme
le duplex à l’italienne ou à la portugaise, mais pour le reste, quelle trace,
quelle influence profonde? Il ne s’agit pas de nier l’apport des uns et des autres, il s’agit de porter les questions
sur le métissage culturel au-delà de clichés sympathiques. Le véritable
malaxeur des cultures ne serait-il pas la culture de consommation de masse,
fortement marquée par les modes de consommation américaines mondialisée depuis
des décennies?
La question du métissage culturel et de la place de Montréal dans ce phénomène au Québec reste à mon avis une
question ouverte qui demanderait plus d’attention, au-delà du slogan
touristique, car elle porte une partie de la réponse sur l’identité de la ville
et sa spécificité.
Jean-François Leclerc
Muséologue