L’histoire comme miroir déformant 1 juillet, 2012
Posté par francolec dans : Histoire,musée , ajouter un commentaire
Dans un article de Christian Rioux paru dans le journal Le Devoir, le 14 juin 2012, sous le titre « La Grèce à l’heure des choix. Au pays de
Platon, la raison n’a pas toujours raison », l’écrivain Nikos Dimou jette un regard très critique sur les mythes et demi-vérités historiques qui ont construit l’identité nationale grecque, contribuant au cul-de-sac social et économique actuel. L’auteur du best-seller pourtant ancien « Du malheur d’être Grecs », affirme : « Ce livre a été écrit en réaction au mythe créé par les colonels selon lequel les Grecs étaient une nation supérieure dont la gloire était éternelle, dit Nikos Dimou. Je voulais combattre cette mythologie et dire la vérité sur la Grèce. »
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/352445/la-grece-a-l-heure-des-choix
On sous-estime parfois l’importance du récit historique dans la constitution d’une nation ou d’une groupe, d’autant plus que
l’histoire contemporaine n’est plus en général au service d’une cause ou d’un pouvoir. L’histoire québécoise, et même montréalaise, participent à cette construction identitaire, parfois à leur corps défendant. La conscience historique populaire se forme lentement, à partir de récits anciens, plus ou moins orientés ou structurés, et de fragments piqués ici et là dans les manuels scolaires, la commémoration, le cinéma, les expositions et autres moyens de diffusion. Les historiens peuvent s’en laver les mains lorsqu’ils ne contribuent pas à cette diffusion, mais leurs travaux participent à cette construction, parfois malgré eux. Ils ont donc intérêt à collaborer activement au travail de diffusion, notamment avec les musées d’histoire qui sont des médiateurs professionnels bien ( ?) conscients des enjeux de la communication.
Le récit muséal est un des outils d’élaboration de la mémoire collective. Il est d’autant plus important pour chaque musée d’être conscient des présupposés de l’histoire qu’il transmet, de sa vision du monde, des biais idéologiques qui inconsciemment orientent ses choix. Cette conscience ne doit pas nous paralyser, ni aseptiser notre propos, mais plutôt nous inciter à mettre au clair et à expliciter nos choix historiques en tant que médiateurs. Cette conscience de nos propres biais doit aussi nous convaincre de donner aux visiteurs les moyens de mettre au défi ce que nous proposons.
La recherche d’une histoire commune est louable et probablement nécessaire pour toute société qui cherche à vivre ensemble. Le « Il était une fois » auquel s’attendent les visiteurs, celui d’une histoire cohérente et en apparence complète, nous ne pouvons y passer outre sans décevoir. Tout en respectant les acquis et lieux communs historiques qui font partie du bagage commun des visiteurs, il faut trouver les moyens d’insérer à ce récit relativement structuré qui donne toutes les apparences de l’unité, des sorties, des coins, des ouvertures, des contradictions et des débats. On évitera ainsi, malgré nous, de rendre aveugles sur leur propre société et ses travers, volontairement ou par omission, ceux pour qui nous faisons office d’experts.
Jean-François Leclerc