Histoire, destinée et « happy end » 17 novembre, 2014
Posté par francolec dans : Non classé , ajouter un commentaireComme historien, je suis tout à fait familier avec les règles de la discipline et friand d’histoire fouillée, d’hypothèses, d’interprétations. Mais comme amateur d’histoire, dans mes moments de loisirs, j’adore les biographies et les autobiographies. Le récit de l’évolution de mes semblables, célèbres ou anonymes me fait toucher au passé plus que d’autres. Il y a plus : ce genre historique et littéraire ouvre à des questions sur le sens de la vie, le bien et le mal, sur les choix qui déterminent les parcours de vue, les conditions sociales, les caractères, les rencontres et les hasards qui orientent une vie. Lorsque mes émotions et ma sensibilité sont interpelées, l’histoire devient plus qu’une connaissance, elle est un outil pour penser l’existence – celle des peuples et des individus, la questionner et y trouver un sens.
Les vacances déjà lointaines de l’été dernier et un petit séjour dans le Bas-Saint-Laurent m’ont permis d’en faire à nouveau l’expérience. J’étais curieux d’aller visiter le Centre d’interprétation sur le naufrage de l’Empress of Ireland aménagé sur le Site historique de la Pointe-au-Père, à Rimouski.
Le petit centre présente une exposition en deux espaces : le premier présente le récit du naufrage survenu en face de Rimouski sur le fleuve Saint-Laurent, dans une salle multimédia, et le second offre une exposition d’artefacts et d’images suivie de témoignages reconstitués à partir de l’enquête qui suivit le naufrage. Le document audiovisuel qui introduit à l’événement est superbement fait. La projection nous fait entrer dans ce confortable hôtel maritime. Nous vivons avec ses passagers de diverses classes sociales le départ et le début de la traversée, grâce à l’habile animation d’images et de cartes postales d’époque. Comme le veulent les règles de tous les films catastrophe, le scénario nous fait d’abord connaître les personnages pour qu’on s’y attache, en instillant peu à peu en nous le malaise de les voir insouciants alors nous, spectateurs, connaissons leur triste sort qu’ils ignorent encore. Après nous avoir fait découvrir le navire et accompagner les voyageurs de diverses classes sociales, la projection se termine sur le naufrage de ce grand paquebot. Transpercé par un autre navire une nui brumeuse, il chavire et coule en quelques minutes à peine, avec ses centaines de passagers, laissant peu de chances de s’en sortir à des centaines de passagers. Parmi eux, ces centaines de travailleurs européens qui retournaient en Europe après avoir été mis à pied par la compagnie automobile Ford.
Une exposition complète la présentation dans un espace attenant. Elle reprend de manière plus détaillée le récit de l’événement et décrit les témoignages des survivants lors de l’enquête qui suivit. Des objets récupérés dans l’épave témoignent de la vie sur le navire. Un animateur vêtu en capitaine donne plus de détails à ceux qui le demandent, avec toute la prestance et l’autorité que lui confèrent son âge et ses connaissances.
En sortant, mes amis et moi-même avons fait le même constat : nous étions déprimés, malheureux et un peux anxieux, un sentiment qui ne nous quitta que bien plus tard dans la journée. Rien de plus normal, me direz-vous. L’histoire offre plus souvent des drames sans issue que des « happy end »! Mais comment expliquer ce malaise persistant? Tentons une explication…muséologique. La présentation audiovisuelle nous avait abandonnés avec l’épave et la fin tragique de passagers qui ne le méritaient pas. Sans coupables bien identifiés, sans information très élaborées sur les suites de ce naufrage et le sort des survivants et des familles des disparus (que l’exposition traitait sommairement), le récit visuellement réussi ne nous offrait pas ce qui aurait apaisé notre trouble : donner un sens à la catastrophe, donner une issue, réparer un peu la blessure virtuelle que nous venions de vivre. Le destin avait frappé, voilà tout. On nous avait exposé les faits, en historien positiviste, le reste importait peu. Mais voilà, le musée n’est pas historien, il est médiateur, il cherche à éveiller, à faire comprendre. Soucieux de ce que le public peut comprendre et vivre, il doit tenter de maîtriser l’expérience qu’il propose au visiteur et être conscient de ce qu’il provoque chez lui pendant et…après. C’est du moins ce que cette expérience m’a fait vivre. Ce qui manquait à ce récit audiovisuel très réussi et à la muséographie qui l’entourait, c’est un après et un pourquoi.