À l’ombre des expositions temporaires: les expositions permanentes 4 janvier, 2010
Posté par francolec dans : "expo quand tu nous tiens",Arts visuels,blogue exposition,blogue muséologie,Centre d'histoire de Montréal,commentaire collection beaux-arts,Commentaires expositions,expérience expositions,Exposition,exposition,Exposition permanente,John William Waterhouse,musée,Musée des Beaux-Arts de Montréal,Musées d'histoire,muséologie,opinions exposition , commentaires desactivésLe monde des musées nous a habitués au glamour des expositions temporaires. Ici comme ailleurs, on se déplace, on court voir ce qui nous est présenté comme incontournable et qui ne reviendra pas. L’exposition temporaire mérite donc toutes les attentions du musée, ses efforts de marketing et de mise en scène du sujet.
Pour le visiteur pressé que nous sommes, avec tant de choses à faire, deux heures max au musée, puis on magasine, on sort, ou on rentre faire le souper ou le ménage…C’est à peine si nous jetons un oeil sur la permanente.
Mes vacances me permettaient enfin de m’offrir une trop rare visite libre dans un musée. Cette fois encore, un musée d’art, le Musée des beaux-arts de Montréal, moi aussi pour une exposition sur le peintre anglais John William Waterhouse. La muséographie est comme toujours élégante et sert bien l’imagerie séduisante du peintre, sa palette colorée et son coup de pinceau très lisse. Le tout est on ne peut plus lisible et accessible à tous les publics. Il est probable qu’un certain public y trouvera même des harmonies involontaires avec l’univers ésotérico-antique-onirique des jeux vidéos qui marquent la culture populaire depuis de nombreuses années au point de se transposer au cinéma.
Le musée d’art offre ce que le musée d’histoire et de société a plus de difficulté à donner : l’expérience de la contemplation. Qu’on la comprenne ou pas, qu’on se méprenne sur l’œuvre ou pas, l’exposition d’art se donne à une observation libre qui ne demande pas à être confirmée. Le texte est présent, bien présent, (de plus en plus d’ailleurs), très prisé par les visiteurs qui s’agglutinent devant les panneaux d’introduction aux salles, mais à la limite facultatif pour celui ou celle qui souhaite se plonger dans cet univers visuel avec les quelques clés de compréhensions sommaires glanées dans le programme du musée, la publicité ou les commentaires de proches et d’amis. Le musée d’histoire, quant à lui, a besoin du texte pour s’exprimer. Pour explorer l’exposition, le visiteur doit accepter de manier plusieurs outils, qu’on lui souhaite les plus conviviaux possibles. Le texte est un incontournable, car aucun objet, aucune image ou collection d’images ne suffiraient à rendre la complexité d’une époque ou d’un personnage. Cela peut éloigner bien des visiteurs qui n’aiment pas lire ou du moins, dans ces moments de loisir.
Mais venons-en au thème évoqué par le titre, les expositions permanentes, sujet que cette visite du MBA a remis en évidence pour moi. Dans la plupart des musées, mais encore plus dans les musées d’art, les expositions permanentes témoignent de l’histoire de la collection avec ses aléas, les goûts des donateurs et conservateurs successifs et d’une certaine vision de l’histoire de l’art. Dans le cas des musées d’histoire ou de science, où au mieux ces expositions se renouvellent à tous les 8 ou 10 ans, au pire, à tous les vingt ans, elles présentent une vision du monde datée, en décalage avec les savoirs qui les fondent, ceux-là évoluant sans cesse au gré de la recherche et des débats qui animent les disciplines des sciences humaines et des sciences.
Les expositions permanentes sont pourtant à mon avis, ou devraient être, une signature de l’institution. Moins soumises aux aléas de la mode et des engouements populaires, elles devraient exposer la vision du monde du musée, ou du moins, son interprétation des savoirs disciplinaires.. Ce n’est pas toujours le cas. Voilà pourquoi, peut-être, les expositions permanentes d’art semblent si souvent impersonnelles et étonnamment aphones comparées aux temporaires. Pour l’amateur, le plaisir n’est pas moindre, car les œuvres sont là. Pourtant, le passage de la temporaire à la permanente crée l’impression de sortir d’une salle de fête où on est accueillis, accompagnés par un guide à l’intelligence vive, émouvant, avec de quoi boire et manger, pour entrer dans le vaste appartement d’un riche oncle neurasthénique et mal aimé qui accroche ses trésors sans les voir, qui les étale par époque sans comprendre ou nous faire comprendre ses choix, qui nous laisse les clés du lieu pour aller se recoucher aussitôt, en nous demandant de les replacer au retour. Belle liberté qui nous incite à passer en trombe d’une salle à l’autre en toute vitesse avec pour seule compagnie les inévitables gardiens de la sécurité des œuvres et des droits d’auteur numériques…
Pourquoi une exposition permanente dans un musée d’art ne pourrait appliquer à sa collection permanente le même soin de séduire, d’expliquer et de convaincre que pour ses temporaires? Pourquoi ne pourrait-elle oser nous offrir sa vision de l’histoire de l’art – forcément éphémère et en évolution, en renouvelant périodiquement son approche? Peut-être alors serait-t-il plus facile de convaincre le public friand de nouveautés de les fréquenter. Pour nos musées d’histoire contemporains, très muséographiés et interactifs, il faudra aussi trouver le moyen de créer des expositions permanentes qui pourraient traduire le mouvement de l’expérience et de la pensée de l’institution et de notre discipline de base. Ceci plus souvent qu’aux dix ans.
Jean-François Leclerc
Historien et muséologue
Centre d’histoire de Montréal
Un retour aux sources muséal 16 août, 2009
Posté par francolec dans : "expo quand tu nous tiens",blogue exposition,blogue muséologie,commentaire collection beaux-arts,Commentaires expositions,expérience expositions,Exposition,exposition,musée,muséologie,opinions exposition,Sainte-Anne-de-Beaupré , ajouter un commentaire
L’histoire des musées nous apprend que les premiers musées – dans le sens d’un lieu où sont conservés et exposés des objets, furent les temples grecs et romains puis par la suite les églises. Le fameux « Mouseion » d’Alexandrie était en fait le lieu de réunion d’une académie de savants, les collections royales et la bibliothèque étant à proximité. Pour un muséologue québécois, à défaut de vestiges de l’antiquité, un retour aux sources devrait périodiquement passer par une visite d’église ou d’un lieu de pélerinage. Heureusement, beaucoup d’églises catholiques ont hérité d’une architecture qui évoque l’antiquité, ce qui ne peut que renforcer cette impression d’être en contact avec l’origine des musées. Le lieu de prière et de vénération des fidèles dans plusieurs traditions religieuses (qu’on pense seulement aux temples bouddhistes) ne réunit pas seulement une collection hétéroclite d’objets plus ou moins précieux et d’oeuvres d’art. Il est aussi un lieu où on expose au regard des croyants les mythes et mystères de la foi par le moyen de statues, de tableaux, de citations gravées dans le pierre, de représentations multiples et récits illustrés. La première exposition d’interprétation, pourrait-on dire, a donc probablement été produite par une église! Moyen de communication tout autant que lieu de recueillement, le temple doit en effet convaincre et confirmer les croyants dans leur foi par divers moyens qui appartiennent certes à un autre âge mais qui, pour ceux qui ont été élevés et adhèrent à cette culture, sont encore efficaces. Créer une ambiance qui prédispose à l’expérience souhaitée, impressionner, émouvoir, assurer un certain confort, proposer plusieurs manières de découvrir les lieux (déambulation, action, écoute passive, contemplation, etc.), voilà des principes qui président tout autant à la muséographie de nos musées et centres d’interprétation modernes, mais d’une autre manière.
Ce médium de communication qu’est le temple-église s’est adapté à l’évolution du dogme avec lenteur et généralement, de manière cumulative. La réforme catholique suivant Vatican II a évidemment changé la donne dans plusieurs églises, mais les lieux de pélerinages ont souvent conservé leur « muséographie » originelle. Pour cette raison, le sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré vaut le détour (www.ssadb.qc.ca). L’impression de retour aux sources est renforcée par l’aspect du village de Sainte-Anne, étalé serré le long d’une rue principale au pied d’une crête rocheuse comme les bourgs du Moyen-Age ; la basilique est imposante, des chapelles votives s’accrochent à la colline, semblant puiser des profondeurs du roc leurs secrets et leur mystère. Les photos ci-haut ne disent pas tout. Il faut sentir le parfum de bois, d’encens et d’humidité, voir les pélerins, allumer un lampion (un geste d’appropriation du lieu), donc être un pèlerin au moins le temps de ce pèlerinage…muséologique. Une des photos illustre toutefois parfaitement l’accumulation historique des moyens de communication des expositions ecclésiales. Voyez ce diorama (non, ce n’est pas le bedeau en train d’épousseter le chemin de croix mais la représentation d’une scène de la vie d’un saint moderne), accolé à des mosaïques, des tableaux, des fresques, des haut-reliefs…et écran de télévision. Une belle anthologie de la muséographie religieuse dans un type de lieu qu’on n’associe pas spontanément au médium de l’exposition. J’oubliais: le Cyclorama de Jérusalem, gigantesque scène en 3D réalisée par divers peintres et terminée en 1882. Il fit une tournée de grandes capitales d’Europe jusqu’à Montréal, avant d’être installé à Sainte-Anne en 1895. Pourquoi y aller, malgré le thème et la scène biblique on ne peut plus paisible et pastorale? Ce fut le IMAX de l’époque et peu d’exemples demeurent dans le monde! (http://www.cyclorama.com/fr/histoire.htm) Jean-François Leclerc Muséologue Centre d’histoire de Montréal
Vieux comme le monde…ou presque 10 août, 2009
Posté par francolec dans : "expo quand tu nous tiens",blogue exposition,blogue muséologie,Centre d'exposition Eaton,commentaire collection beaux-arts,Commentaires expositions,expérience expositions,Exposition,exposition,musée,muséologie,opinions exposition,Titanic , ajouter un commentaire
Rien de mieux qu’un voyage touristique, où que ce soit, pour réaliser qu’en situation de loisir et de détente, le visiteur naturellement paresseux que nous sommes dans ces moments de farniente aime bien soit se dépayser totalement, soit retrouver en exposition des gestes et des habitudes qu’il connaît bien et qui lui facilitent la vie, sans avoir à se casser la tête.
Une visite au Musée de Charlevoix, cette fois, fut l’occasion de vivre une micro-expérience de ce type: dans un espace de l’exposition permanente sur l’art populaire et l’histoire de la région, un plateau où est disposé un simple album aux pages plastifiées et boudinées. L’album contient des reproductions de cartes postales anciennes de la région. Rien de technologiquement avancé et une proposition on ne peut plus familière, celle de feuilleter un album bien assis sur un banc mis à notre disposition (merci!), comme si nous étions chez nos grands-parents. Le même sentiment de découvrir le passé d’une région comme s’il appartenait à notre propre famille, par la magie du médium archi-connu de la carte postale et l’effet du geste lent de tourner des pages mille fois repris depuis notre petite enfance.
Tout simple, mais tout de même efficace, car inévitablement, au gré de la curiosité, on cherche à identifier la scène ou le paysage représenté. Il en reste donc quelque chose.
En 2001, dans son exposition permanente, le Centre d’histoire a utilisé ce procédé vieux comme…l’imprimé. Elle donne au visiteur le sentiment d’être actif et d’avoir le choix. Ça marche. Tout dépend du visiteur, évidemment!
Jean-François Leclerc
Muséologue
Centre d’histoire de Montréal
Souviens-toi d’Imagine 30 juin, 2009
Posté par francolec dans : blogue exposition,blogue muséologie,commentaire collection beaux-arts,Commentaires expositions,expérience expositions,Exposition,exposition,musée,Musée des Beaux-Arts du Canada,muséologie,opinions exposition , ajouter un commentaireBien oui, le temps me manque pour alimenter ce blogue, mais je le vois pointer avec les vacances qui approchent. Patience. Alors, pourquoi pas un souvenir de l’exposition Imagine au Musée des Beaux-Arts de Montréal, qui date de trois mois environ. Un succès de foule certainement que cette exposition Alors, ce qui plaît et comme je le suggère, ce qui marche?
Un muséologue dans une exposition a toujours un regard un peu oblique et vit l’expérience différemment, mais cela ne l’empêche pas d’y prendre plaisir. Avouons que cette exposition comme expérience fonctionne. Pourtant, l’exposition offre peu d’objets originaux ou du moins peu spectaculaires (le piano bien sûr, une guitare etc). On ne peut tout de même se pâmer longtemps devant des pochettes de disques ou des dessins qui sont à la limite des reliques, à moins d’être un fan fini des Beatles ou de cette époque, ce que je n’étais et ne suis pas (j’aime bien, c’est tout). Le propos de l’exposition est finalement assez sérieux - et intelligent – comme il se doit, et nous fait découvrir Yoko et John plus artistes visuels et innovateurs qu’on l’aurait cru, sans oublier leur capacité d’utiliser leur célébrité et les dadas des médias pour faire un marketing efficace de leurs idéaux pacifistes.
Mais les clés de l’efficacité de l’exposition se trouvent également dans son esthétique franche, dépouillée, avec cette dominante de blanc qui évoque la photo-icône des deux vedettes vêtues de blanc sur leur lit blanc, dans une mise en scène qui tient parfois de l’installation (on reconnaît sans pouvoir les nommer certaines oeuvres ou manières contemporaines des derniers 50 ans), laquelle met surtout en évidence le mobilier-décor et les grandes images. Le tout tire finalement assez bien les ficelles plus ou moins conscientes de notre bagage esthétique associé aux années 1960 et 1970 et à Yoko et J0hn Lennon.
Aussi, une mise en scène théâtrale qui rend John et Yoko si présents par leur absence. On a en effet l’impression de traverser une grande scène de théâtre pendant l’entracte lors d’une représentation, avant que les acteurs n’y entrent à nouveau. Ce stratagème voulu ou non fonctionne. Il est à retenir pour les expositions qui portent sur des personnages historiques. L’accumulation d’objets, d’oeuvres, de références, de textes renforce souvent le sentiment de leur mort et de leur absence définitives – comme un mausolée, alors que le dépouillement (à grand déploiement dans ce cas!), nous fait sentir leur évanescente présence (le petits film d’art de Yokko Ono où on voit Lennon respirer au ralenti suffit d’ailleurs amplement.)
Les éléments et oeuvres participatives créent aussi une communion entre le visiteur et le sujet de l’exposition. La planche à clous de Yoko (je crois) nous met en contact direct avec le moment de la création de l’oeuvre et de son exposition des décennies plus tôt. Les arbres à message aussi, une presque cliché esthétique mais réussi, nous sollicitent. Cela pouvait certainement étonner les visiteurs peu habitués peu habitués à ce genre de jeux dans des expositions d’art.
http://photo.photojpl.com/tour/exposition-imagine
Deux autres clés à mon avis de l’expérience offerte par Imagine, encore plus fondamentales peut-être même si elles ne suffiraient pas à elles seules: la première, que tous les musées ne peuvent se payer (en raison de leur mission ou de leurs thématiques), un thème ou des personnages mondialement connus, précédés par des décennies de promotion universelles et modelés suffisamment par les médias pour être facilement communicables et être logés dans notre conscient collectif. La seconde, un message également universel, dans ce cas, pacifiste, qui rejoignait dans ce cas beaucoup celui des plus jeunes plongés dans une autre époque de mondialisation que les années 1960 et 1970 mais de mondialisation tout de même: il était intéressant de noter dans le cahier de commentaires de nombreux messages portant non sur l’appréciation de l’exposition mais sur la paix et l’amour! L’exposition précédente sur Andy Warhol avait aussi cet avantage (et ce même traitement théâtral).
À retenir!
Jean-François Leclerc
Centre d’histoire de Montréal