Hors de l’exotisme et des stars, point de succès pour les expositions grand public? 9 janvier, 2016
Posté par francolec dans : "expo quand tu nous tiens",blogue muséologie,Collections,Commentaires expositions,expérience expositions,exposition,Groupe du Beaver Hall,Histoire de l'art,musée,Musée des Beaux-Arts de Montréal,Museologie québécoise,opinions exposition,Prudence Heward , ajouter un commentaireLes musées de Montréal nous offrent régulièrement des expositions qui pourraient se classer dans deux catégories : les « stars de l’art » et « les trésors de ». Les Montréalais – et les touristes – se précipitent pour voir les célébrités de l’art et du patrimoine mondial précédées par des décennies de marketing artistique et touristique. Entre ces icônes mondialisées immédiatement compréhensibles – Monet, Picasso, Incas, Warhol et autres – et un art moins accessible ou des œuvres d’artistes nationaux ou locaux, le choix est facile. Mais à n’exposer que des stars de l’art ou des civilisations auréolées de mystère, on renforce chez le public l’habitude de ne se déplacer que lorsque l’exotisme sous toutes ses formes passe en ville. Ce faisant, le musée néglige une dimension importante de sa mission, celle de mettre en valeur sa propre société. Sans arbre généalogique de notre propre génie humain, il devient plus difficile de construire son identité propre et de créer, ici, un art fort et authentique. Les Européens et les Américains ne se privent pas de le faire, pourquoi pas nous?
Le Musée des Beaux-arts de Montréal, qui fait souvent dans le star system, a heureusement déployé depuis quelques années sa collection d’art québécois et canadien dans plusieurs salles d’un nouveau pavillon. Cette exposition est à la fois instructive, convaincante, attrayante et riche en découvertes même pour un amateur un peu connaissant. Mais, on le sait, ces expositions en place pour longtemps ne font pas courir les foules. De plus, ils ne donnent qu’un aperçu très sommaire et parfois injuste des artistes représentés. De plus, le budget de promotion va ailleurs, et c’est compréhensible.
Cette fois, le MBA met en vedette un groupe d’artistes en majorité anglo-canadiens dit du Beaver Hall, présenté sous le titre (malheureusement flou et confondant) « La couleur du jazz ». Ce groupe, quoiqu’éphémère, a rassemblé de grands artistes, dont un grand nombre de femmes artistes. On est loin des audaces modernes d’outre-Atlantique et de sa bohème libérée qui osent casser les moules, mais les artistes qu’on nous présente ont su créer des œuvres fortes et inspirantes. L’exposition, qui structure le parcours selon les thèmes et sujets représentés, est riche en notes biographiques, stylistiques et avec de nombreuses références au contexte social de l’époque.
La mise en scène est agréable et parvient à éviter la monotonie, malgré une muséographie assez classique qui se permet néanmoins de créer des contrastes d’une salle à l’autre. Le clou de l’exposition est d’ailleurs à mon avis, l’avant-dernière salle, toute peinte en noir, où une succession de portraits – le plus souvent des sujets féminins, devient une véritable fête de couleurs et de formes. Par leur nombre et leur qualité, les tableaux démontrent une grande maîtrise picturale et formelle et un souci de décrire la condition sociale des sujets.
J’ai cependant regretté qu’on passe sous silence (à moins que j’aie manqué cette référence) le fait que le monde artistique montréalais de l’époque est très clivé, artistes anglophones et francophones vivant dans des univers séparés, et sont certainement issus de milieux aux conditions sociales très différentes. Il faut se tourner vers l’exposition permanente pour le savoir, sinon, sur des sites plus spécialisés comme celui du Musée des Beaux-arts du Canada.
http://cybermuse.gallery.ca/cybermuse/enthusiast/thirties/content_f.jsp?chapter=0
On y mentionne par exemple que dans le groupe, seul l’artiste Edwin Holgate parle français et fait le pont entre les deux sociétés. À la fin des années 1939, un autre groupe, majoritairement anglophone mais suivi par des critiques francophones, la Société d’art contemporain, fut formé pour, entre autres, rapprocher des artistes francophones et anglophones autour d’une autre idée de la modernité. Ce bel idéal ne survivra pas aux audaces d’un de ces membres, Paul-Émile Borduas, et à son Refus global (et ses collaborateurs), profondément canadien-français (québécois) dans son propos et ses révolte contre un état de soumission et de domination de son peuple. Sans rien enlever au projet de valorisation de l’exposition et à une certaine image d’unité de l’art canadien qui s’en dégage, cela aurait certainement permis de mesurer les limites des préoccupations sociales de ces artistes du Montréal bourgeois de l’époque. Et on peut se consoler ou se désoler de savoir qu’encore aujourd’hui, tout en étant un incubateur culturel extraordinaire, Montréal demeure une société qui dans certaines milieux, demeure clivée culturellement, audelà des apparences. (Voir par exemple sur Arcade Fire http://blogues.lapresse.ca/brunet/2014/08/31/arcade-fire-et-le-montreal-franco/)
Saluons les organisateurs de cette exposition d’avoir réuni enfin un corpus important des œuvres du groupe et de les promouvoir avec des moyens dévolus aux expositions majeures, grâce aux outils de communication et de marketing bien rodés du MBA. La présence d’une foule nombreuse semble démontrer que ce choix peut être profitable pour un musée ,et, certainement, pour la société dans laquelle il oeuvre!
Séduire et troubler: Altmejd 28 août, 2015
Posté par francolec dans : Arts visuels,Commentaires expositions,expérience expositions,exposition,Histoire de l'art,Musée d'art contemporain,opinions exposition , ajouter un commentaireL’art actuel se déploie de nos jours de multiples manières. Bien des artistes utilisent des médiums dématérialisés, ou encore se font animateurs culturels et sociaux, s’insérant dans le quotidien de certains groupes ou dans des activités festives et se fondant ainsi dans l’animation culturelle foisonnante de Montréal.
On peut penser que plusieurs de ces interventions rapprochent le public de l’art et des artistes, qu’ils sont comme des ferments qui feront lever la pâte culturelle et la créativité des populaire. Les espaces urbains publics deviennent ainsi un musée vivant où un certain art s’expose et se démocratise. Pourtant, le musée demeure essentiel comme lieu où le monde, l’histoire et l’art se mettent en scène et offrent des expériences intenses hors du brouhaha quotidien.
J’aime bien faire des incursions au Musée d’art contemporain de Montréal, ce grand petit musée national, si bien situé au cœur du Quartier des spectacles. Sa programmation éclectique, comme l’art actuel, et ses expositions plus permanentes valent de s’y plonger malgré les difficultés inhérentes à la communication de l’art contemporain. Mes contacts avec certaines œuvres me laissent souvent perplexe, mais tout ceci agit en nous, creuse la sensibilité, déroute les attentes, même si le souci de certains artistes d’adopter les codes et les symboles mondialisés m’irritent (Altmejd, comme tant d’autres, choisit d’intituler ses œuvres d’un « untitled » anglophone qui se prétend lisible partout, contribuant au laminage du monde). Quel que soit le souci des artistes de porter un message ou provoquer un changement, l’art au musée et l’art de musée, sauf exception, demeure un objet de consommation et de contemplation. Il a bien peu d’impact sur la société et ses enjeux. Mais rien de cela ne doit nous empêcher de s’exposer…aux expositions!
La Biennale au MAC nous avait entraînés sur les voies bien pavées d’un art conceptuel sans frontières dont de nombreuses propositions seront probablement un jour considérées comme un pur académisme moderne. Le temps le dira. Cette fois, avec Altmejd, le MAC nous « révèle» un Montréalais devenu une des étoiles montantes de l’art actuel, dont l’ange de la rue Sherbrooke devant un des bâtiments du Musée des beaux-arts est déjà une icône de la ville. Comme toute exposition monographique, celle-ci nous plonge dans l’univers d’un seul artiste, et dans ce cas, un artiste qui aime faire plus grand que nature. L’œuvre devient muséographie et nous enveloppe, surtout dans le dernières salles où des boîtes de plexi ou de verre occupent presque toute la surface et se multiplient par un jeu de miroirs digne d’un palais de Versailles contemporain! L’effet est saisissant.
D’autres que moi ont commenté l’œuvre et l’exposition. Disons que, comparativement à certains de ses contemporains, Altmejd offre des créations on ne peut plus sensuelles, jouant sur un réalisme anthropomorphiste, sur l’étrangeté, sur les matières organiques et minérales portant un ADN d’êtres monstrueux et fantastiques, créant un monde qui nous rappelle celui du vaisseau spatial où sévit le monstre Alien, cette bête carnassière qui ingère et intègre des partie d’humains qu’elle dévore. Altmedj choisit clairement, de son propre aveu, ce croisement entre le monde immémorial des contes et légendes,du fantastique et du cinéma d’horreur et de la science-fiction.
Ses compositions monstrueuses et pourtant attirantes ne font pas que nous inquiéter. Elles nous observent, nous décrivent, nous troublent parce que, plus ou moins sciemment, à travers elles, l’artiste nous parle de la vie, de la mort, de cette violence de la nature et des humains qui entraîne la destruction et la décomposition des êtres et des choses. Ce qui, inexorablement, contribue à transformer notre monde.
Jean-François Leclerc
Pérou, or, histoire et sang 6 avril, 2013
Posté par francolec dans : blogue exposition,blogue muséologie,Collections,Commentaires expositions,Histoire de l'art,Incas,Mochicas,Musée des Beaux-Arts de Montréal,Pérou , ajouter un commentaire
Le Musée des Beaux-arts présente depuis quelques semaines l’exposition Pérou, royaume du soleil et de la lune. Il nous offre des pièces uniques de diverses collections. On y trouve les attendus ornements d’or et d’argent, certains spectaculaires, dont les représentations font partie de notre culture populaire depuis longtemps (qu’on pense à l’album de Tintin Le Temple du soleil). On aussi peut y admirer des pièces des Mochicas, dont plusieurs représentent des humains, de sensibles portraits qui nous donnent l’impression d’entrer en contact avec ce peuple. Autre attrait de cette riche exposition, des tissus aussi rares que magnifiques, dont certains viennent de la collection du MBA (d’ailleurs, ce musée devrait mettre en valeur sa collection de civilisation, et pourquoi pas, par une exposition d’interprétation permanente sur l’histoire des civilisations. La culture générale de nos concitoyens en serait enrichie). La présentation est honnête, avec un effort de mise en scène dont ne se prive heureusement pas le MBAM depuis quelques années. Il faut seulement regretter quelques insuffisances au niveau de l’éclairage, du support, de la lisibilité et de la disposition des cartels.
Il faut noter un certain décalage entre l’image choisie pour l’affiche vedette – un ornemant éblouissant , qui laisse croire à une exposition sur les civilisation précolombiennes, et les intentions des concepteurs. Le fil conducteur de l’exposition, que nous découvrons au cours de la visite, est en effet moins l’histoire et les cultures des peuples autochtones d’avant la Conquête espagnole, que celle de la construction identitaire de la nation péruvienne à travers son art national. L’indianité profonde du Pérou, écrasée par la conquête espagnole, fut récupérée par les penseurs et créateurs nationalistes bolivariens et leurs successeurs au 20e siècle qui voulaient se démarquer de la culture de leur ancienne métropole. Les archéologues jouèrent un rôle majeur dans cette redécouverte. Leur place dans l’exposition est donc importante.
http://www.mbam.qc.ca/bibliotheque/media/1-perou-communique-de-presse-mbam.pdf
Les salles consacrées aux peuples précolombiens nous convainquent du raffinement de leurs cultures jusqu’à la période de l’Empire inca et sa destruction violente par les Espagnols. Ce moment charnière se raconte pourtant, muséographiquement, dans les deux salles les moins riches de l’exposition. Le choc que fut l’arrivée des Espagnols est peu développé. Une pauvre reproduction du codex de Garcilaso de la Vega sur un mur, sert à évoquer la spoliation sanglante des nations autochtones par des aventuriers et militaires espagnols, avec l’assentiment de la monarchie espagnole et du clergé. L’autre salle est aménagée pour mettre en valeur un documentaire projeté sur grand écran et portant sur le pillage des tombes précolombiennes et la destruction du patrimoine. Des dizaines d’objets sont disposés dans la pénombre, sur des étagères évoquant les réserves archéologiques. Bel effort de mise en scène qui, malheureusement, se confond à du décor, alors que les objets quotidiens qu’elle montre témoignent pour la plupart de la vie quotidienne des populations précolombiennes sans les ors ni le luxe des objets rituels des salles précédentes.
Les autres salles nous présentent l’émergence chez les artistes péruviens d’un intérêt pour les cultures autochtones nationales. Après avoir vu le raffinement et la profondeur spirituelle et humaine de l’art des peuples précolombiens, les œuvres des époques suivantes, celles de la colonie espagnole et de la nation péruvienne, même fabriquées dans les matières les plus précieuses, nous paraissent bien fades, pâle reflet métissé de celles qui précèdent. Comme les textes nous l’indiquent, le génie créatif des premiers peuples doit désormais se camoufler derrière les valeurs, les croyances et les goûts des conquérants.
L’histoire du monde nous a habitué à bien des horreurs, mais ce qui se passa dans les Andes péruviennes et au Mexique fut une tragédie dont les peuples autochtones se relèvent à peine. Notre accès aux trésors de ces civilisations, il faut s’en souvenir, on le doit aux conquérants qui ont transformé leurs biens sacrés et leurs objets usuels en trésors, en or et en argent pour leurs coffres avant que les archéologues ne cherchent à en tirer d’utiles connaissances sur ces civilisations disparues. Comme visiteur intéressé par l’histoire autant que par l’art, j’aurais aimé que cette exposition fasse du choc humain et artistique de la conquête non pas un moments parmi d’autres d’une chronologie nationale, mais l’événement clé, destructeur et refondateur, qui aurait éclairé d’une lumière plus crue notre compréhesion de l’art du Pérou. Sans vouloir jouer les gérants d’estrade, connaissant trop bien le travail gigantesque que demande une exposition de cette envergure, j’aurais souhaité une exposition instructive qui soit moins classiquement pédagogique et linéaire. L’expérience aurait été à mon avis plus marquante.
Jean-François Leclerc
Promenades estivales 2 – Les expositions permanentes : Regarder de biais pour mieux voir 25 juillet, 2011
Posté par francolec dans : Arts visuels,Bloemaert,blogue exposition,blogue muséologie,Derain,Exposition permanente,Gainsborough,Histoire de l'art,Matisse,Musée des Beaux-Arts de Montréal,Peschier,Van Mol , ajouter un commentaireLa visite d’une exposition permanente n’apporte pas seulement le plaisir de voir défiler l’histoire de l’art à travers les tableaux d’œuvres grandes ou modestes des grands noms du panthéon artistique occidental. On ne peut se plaindre de voir des Matisse (Portrait au visage rose et bleu), un Picasso (Étreinte), un Karel Appel (Portrait de Sir Robert Read), et plusieurs autres noms bien connus de la révolution artistique du 20e siècle, sans oublier les Hurtubise et autres œuvres de la collection contemporaine ma foi très stimulante de la collection permanente du Musée des Beaux-Arts.
À mon avis, le véritable plaisir d’une fréquentation plus assidue de la permanente est de laisser le regard se perdre, comme ses pensées, dans les fonds des paysages, les détails, la manière, la couleur, la pose et l’expression, toutes choses qui ne se donnent pas à voir au premier coup d’œil d’ensemble, encore moins lorsque les tableaux ou les peintres n’ont pas reçu l’auréole de la sainteté plastique accordée aux vedettes mondialisées du pinceau.
Ainsi, on arrive à retrouver dans un Gainsborough, un coup de pinceau étonnamment moderne (un portrait du 18e siècle dont j’ai omis de noter le titre).
Ou s’ébahir devant la carnation onctueuse d’un christ déposé de sa croix (Pieter Van Mol, La déposition)
Ou s’accrocher aux fins détails du tableau moraliste (Vanité) d’un peintre inconnu (pour moi) du 17e siècle, N.L.Peschier, qui évoque les tableaux hyperréalistes actuels, des collages ou même des installations contemporaines. Ou bien, trouver d’étonnantes correspondances esthétiques entre un tableau baroque d’Abraham Bloemaert du 17e siècle (Rentrée de la moisson) et le célèbre Déjeuner sur l’herbe de Manet (années 1860), tant dans la pose que dans la composition du tableau (je vous laisse en juger).
La gratuité permanente de la permanente, c’est donc la possibilité de se laisser dériver doucement, à répétition, sans obligation de consommer les œuvres qu’on nous donne à voir temporairement et qu’il faut voir absolument, nous dit-on, avec tout qu’on nous en dit. On peut se laisser simplement regarder de biais petits et grands tableaux pour mieux voir, pour se mieux voir, pour nous mieux voir comme société créatrice de modes et chercheuse de nouveautés à tout prix. Parfois, cette nouveauté était déjà apparue, comme figurante, incognito et …de biais.
Jean-François Leclerc
Muséologue