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Décoder le murmure des villes : London en Ontario 14 avril, 2011

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Le Centre d’histoire a pour mission de donner des clés de compréhension de la ville. Mais quelles clés, en fait, sont-elles nécessaires?  Pour un Montréalais de naissance comme moi, la réponse n’est pas si simple, car comme mes concitoyens, je n’ai pas besoin de la décoder. La ville, c’est mon quotidien, mon travail et mes loisirs, mes relations.  Ma ville est donc plus celle que je vis que celle que je vois. Mon quotidien lui donne une apparence de sens, de globalité, indépendamment de la réalité géographique et physique de mon parcours.  Comme citadin familier avec mon environnement urbain, rien ne m’y semble vraiment aberrant ou incompréhensible.    J’assistais cette semaine à un congrès de l’Association des musées canadiens à London, en Ontario, où on nous décernait le prix Excellence en éducation, pour notre activité Vous faites partie de l’histoire, destinée aux adolescents, nouveaux arrivants, en classe d’accueil et de francisation. Le thème : Évoluer ou disparaître, au titre plus provocateur que le congrès lui-même.  (Je baigne trop dans les questionnements muséologiques pour être impressionné, dois-je avouer!)  À London, comme étranger dans une ville inconnue, j’ai vécu ce que vivent probablement bien des étrangers et touristes de passage à Montréal et dans toute ville.  D’abord, les images préconçues : on s’attend à une petite ville ontarienne, au passé très, mais très britannique.  On s’attend à y trouver le style victorien, une population blanche et plutôt réservée, sans coquetterie particulière.  C’est vrai… c’était  vrai, ça l’est encore un peu, tout dépendant de ce qu’on veut voir et remarquer.  Une fois sorti de la gare, en ce printemps frileux, en marchant vers l’hôtel, puis lors de promenades dans le centre-ville, London en son centre nous lançait pourtant des messages tout à fait contradictoires, déroutants, un peu tristes, comme toutes les villes nord-américaines jadis en déclin et modernisées sans vision peuvent le faire.  Peu de bâtiments victoriens au centre, mais des terrains vacants, des stationnements et des édifices utilitaires qui les ont remplacés, des centres d’achat, hôtels, tours à bureau et d’habitation sans charme, ni beaux ni laids, neutres. Ici et là, quelques imposants édifices institutionnels de pierre taillée construits au milieu du 20e siècle, entourés de grands terrains gazonnés,  de grandes avenues que rien ne semble justifier à première vue.  Des vides, des vides, des vides, et des bâtiments hétéroclites entre les vides, quelques parcs sans personnalité jusqu’à un quartier de belles et grandes demeures à l’anglaise qui surgit tout à coup.    

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Le règne de Victoria qui a tant marqué les débuts de la ville peuplée par des colons et des soldats britanniques, n’est plus.  À sa place, un espace hybride, fait de placide beauté et de désolant abandon, qui ne semble plus tenir compte ni de l’histoire et de la logique de son développement, ni de sa topographie. On ne sent plus le développement organique, du centre vers la périphérie, mais une désorganisation imposée, mélange de fatalité économique, politique et de mauvaise planification urbaine.  Combien de villes en ont pâti…Le bâti de London me paraît comme un mélange un peu désordonné de la sévère supériorité classique des bâtiments gouvernementaux d’Ottawa ou de Québec, de la coquetterie rouge brique de certaines petites villes industrielles à l’anglaise, comme Saint-Jean-sur-Richelieu, de l’environnement sans âme de l’urbanisme de centres d’achat de Sainte-Foy, de la froide modernité du campus de l’université Laval à Québec, et enfin, des zones déstructurées de Montréal comme certains coins de Pointe-St-Charles, de la petite Bourgogne ou de Saint-Henri. Beau mélange! 

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Comme dans toutes les villes, ce sont les habitants qui donnent aussi le ton, malgré tout.  Ici, par les rares contacts, j’ai senti qu’ils sont cordiaux et vous font sentir un peu moins étranger (c’est d’ailleurs ce que me disait une serveuse d’un restaurant indien venue de New Delhi à London : ici, les gens nous connaissent, nous saluent, ne nous traitent tels des étrangers comme à Toronto…).  Ces impressions vraies ou fausses provoquées par le paysage urbain du centre-ville et les premières rencontres sont pour bien des voyageurs le murmure presque incompréhensible de la ville. Sans interprètes pour le comprendre, il peut donner lieu à bien des méprises. En exprimant mon étonnement à une congressiste originaire de cette ville et en glanant quelques informations ici et là, ces murmures se sont transformés en mots. La ville a souffert du départ de quelques industries majeures (comme Kellog’s, attirée jadis par le bas prix du sucre au Canada), du développement des centres d’achat de banlieue qui ont tué les rues commerciales (rappelez-vous de la charge de Dédé Fortin et des Colocs contre eux), d’une négligence parfois volontaire de son patrimoine (des incendies criminels), d’une absence de planification urbaine. (Heureusement, il semble qu’un comité d’urbanisme ait été mis sur pied et qu’une société d’histoire bataille ferme pour préserver ce qui reste.)  Cette expérience commune à tous les voyageurs me donne une belle piste pour aborder dans notre centre d’interprétation de la vie urbaine.  Pourquoi ne pas amorcer la découverte de nos visiteurs en leur faisant dévoiler leurs perceptions, afin de mieux dénouer leurs vérités et faussetés, une à une, jusqu’au noyau dur de l’identité de la ville?      

Jean-François Leclerc 

Muséologue 

L’histoire locale: pour que notre existence n’ait pas été vaine 25 décembre, 2010

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Le Centre d’histoire de Montréal organisait à la mi-décembre, l’atelier Raconte-moi ton Parc-Extension pour le quartier du même nom qui célèbre son 100e anniversaire en 2010-2011.

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Ce quartier montréalais fut développé à partir de 1907 par des promoteurs immobiliers pour attirer les familles ouvrières au nord de Montréal.  D’abord habité par des immigrants britanniques et d’Europe de l’est, et quelques canadiens-français, il vit arriver après la Deuxième guerre mondiale des immigrants d’Europe du sud, en particulier de Grèce, qui seront remplacés peu à peu par des résidants du sous-continent indien.  Cet atelier était destiné à initier les citoyens aux diverses manières de communiquer leurs connaissances et leur expérience du quartier : entrevues avec des proches et voisins, scrapbook, ligne de temps personnelle, vidéo etc.  Des résidants anciens et récents de diverses conditions et langues s’y sont retrouvés avec plaisir pour travailler à une ligne de temps où leur perception de leur histoire personnelle venait s’insérer dans celle des moments clés de l’histoire du quartier. 

 On peut déjà faire quelques observations. Dans un quartier relativement tranquille, la mémoire des résidants  se cristallise souvent autour des moments de changement personnels importants : arrivée, débuts de l’installation et de la découverte du quartier.  Pour le reste, la vie familiale et le quotidien prennent le dessus et tendent à dissoudre la mémoire des événements dans la routine métro-boulot-dodo: difficile d’en démêler l’écheveau sans ces échanges soutenus de l’atelier et la stimulation par des dates, des images tirées des archives et des questions bien ciblées.  Autrefois, et encore maintenant dans plusieurs cas, la vie de quartier est vécue plus intensément au quotidien par les femmes (du moins aux époques où elles étaient plus à la maison). Cette quête de témoignages est d’autant plus importante qu’autrefois, dans les quartiers ouvriers, peu de gens avaient des appareils photos ou des caméras pour capter leur vie de quartier, comme le soulignait un participant.  

 http://www.histoireparcextension.org/photos 

Aux historiens ou muséologues travaillant sur de grands territoires, des sociétés et des phénomènes collectifs, les recherches des sociétés historiques locales peuvent paraître un peu refermées sur elles-mêmes, avec le seul souci d’accumuler des données, de colliger des faits, des dates et des noms.  Si cette vision caricaturale et un peu hautaine rejoint parfois la réalité, elle méconnaît certainement le sens profond de ces actes patients qui construisent l’histoire locale par brindilles et grains de sable et explorent à la loupe l’évolution d’un territoire ou d’une communauté.  Les musées aux thématiques et territoires plus vastes s’en font rarement l’écho parce que cette histoire risque de n’intéresser que quelques résidants d’un quartier ou d’un village, à moins qu’elle ne touche un lieu devenu emblématique pour tous les Montréalais d’une époque, comme un rue commerçante ou un lieu de culture populaire.   Pourquoi alors accumuler dans le grand sablier déjà encombré de l’histoire ces micro-grains de sables ?  Une ex-résidante du quartier, membre de la Société historique, eut cette réponse éclairante (que je paraphrase): « Ma famille a longtemps vécu ici, j’ai depuis déménagé. Je veux par ce travail donner un sens à notre passage dans ce quartier, je veux prouver que nos vies n’ont pas été inutiles. » Donner un sens à l’existence des peuples, des communautés, des individus si modestes soient-ils, c’est certainement ce qui, profondément, motive la plupart de ceux qui travaillent à dénicher et à comprendre la grande comme à la petite histoire.   

Au-delà du besoin de connaître, c’est ce qui rend ce travail si émouvant et digne de respect.

Jean-François Leclerc

Muséologue

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