Montréal et ses miroirs 6 octobre, 2013
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Montréal fait partie de ma vie d’historien et de muséologue depuis longtemps, comme de ma vie tout court. Question d’attachement comme citoyen qui a grandi à Saint-Léonard, banlieue de l’île, puis vécu dans Côte-des-Neiges, Rosemont, Villeray et Parc-Extension. Le Centre d’histoire de Montréal en fait son objet d’exposition et de questionnements depuis bientôt trente ans, il est donc difficile de ne pas avoir quelques idées à son sujet!
Pour la plupart des urbains que nous sommes, la ville se vit au quotidien, avec son labeur, ses petits plaisirs, ses désagréments, ses soucis et son potentiel de rencontres, de découvertes et d’expériences. Ce quotidien occupe tant de place qu’il en reste bien peu pour les préoccupations plus globales qui touchent l’avenir de la ville, son identité, ses ambitions. Il est plus simple de l’utiliser comme un simple outil et pester quand la machine cloche – pannes de métro, nid-de-poule, lenteurs administratives…Tout le monde s’entend sur le rôle fondamental d’une municipalité, celui de faire en sorte que la vie sociale et la vie économique trouvent les conditions propres à leur développement. Pendant longtemps, ses activités se sont limitées à une liste relativement courte de services, en bon gestionnaire du quotidien.
Depuis plusieurs décennies, sa mission s’est étendue à d’autres champs de la vie économique, sociale et culturelle. Ceux qui réclament des élus et de l’administration publique une vision du développement de la métropole ne sont pas que des utopistes et des rêveurs, ils voient l’importance des villes dans le destin de leurs nations et du monde. Mais comment développer une vision de sa ville sans une certaine conscience de son identité propre, de son évolution et de son histoire? Il ne s’agit pas ici de chercher les recettes du succès dans le passé, mais de tenter de décoder le code génétique de la ville, ou du moins son caractère, en décelant les traits distincts, les originalités et les innovations parfois inconscientes qu’elle a produites. La métropole du Canada devenue métropole du Québec a toujours cherché ses références dans les villes les plus cotées auxquelles elle croyait devoir se comparer. Hier, on regardait Londres, Paris ou New-York, récemment Lyon et maintenant, Barcelone. Mais ces miroirs étincelants l’ont peut-être éblouie sans lui révéler ce qu’elle est.
Montréal aurait-elle trouvé son identité en évitant d’en affirmer aucune? Peut-être faudrait-il commencer par l’observer avec un regard d’ethnologue non dénué d’affection. Prenons le temps d’examiner sérieusement l’histoire et l’expérience quotidienne des Montréalais et leur relation avec leur ville, pour en déceler ce qui en fait le caractère unique. Nous pourrons ainsi mieux l’exprimer dans nos aménagements, notre architecture, nos projets urbains et culturels. Elle deviendra elle-même un modèle, sans l’avoir cherché!
Montréal, une banlieue qui s’ignore? 16 novembre, 2012
Posté par francolec dans : Histoire,Identité , ajouter un commentaire
L’histoire au musée ne peut être une simple accumulation
de faits ni un récit chronologique neutre ou neutralisé. Outil de connaissance,
outil de compréhension, elle doit aider le visiteur à comprendre et à décoder
par lui-même ce qu’on lui raconte. Ce qui nous manque parfois, comme
muséographes, c’est un point de vue qui nous permettra d’organiser notre propos
muséal en conséquence. Or qui dit point de vue, dit hypothèse de travail,
jamais définitive, mais ouvrant à des questions et à des associations d’idées
inspirantes. Une de ces questions est celle de l’identité de la ville et de ses
particularités : qui sommes nous, qui étions nous et que sommes-nous
devenus. Ville des Amériques fondée par des Français et lieux de rencontre et
de vie de populations venues de partout, Montréal ressemble et se différencie à
la fois de ses sœurs nord-américaines. Mais comment?
Une publication toute récente pourra nous contenter : L’histoire de Montréal et de sa région, des pages essentielles qui affirment mais surtout interrogent notre perception de l’histoire montréalaise à partir des plus récentes recherches. J’ai commencé à la lire…on s’en reparlera dans 1600 pages!
En attendant, une chronique de Jean-Jacques Stréliski dans le journal Le Devoir nous permet déjà d’identifier quelques traits cette identité montréalaise, dont celui-ci. « Montréal est une ville qui se structure sur un modèle traditionnel et qui s’apparente davantage à un noyau villageois typé, de maisons de villages et de quartiers, dans lequel tout le monde cohabite en harmonie. (…) Mais on peut aussi se poser la question ; le rêve des Montréalais est-il urbain, ou les Montréalais ne sont-ils que des banlieusards en puissance ?».
http://www.ledevoir.com/politique/montreal/363736/questions-d-image-montrealitudes
L’histoire de Montréal lui donne raison. Le rêve de la banlieue est en effet inscrit très profondément dans l’évolution de la ville. En effet, depuis 1880, hors du petit noyau urbain initial (l’actuel
Vieux-Montréal) et de ses faubourgs très denses situés en bas de la rue
Sherbrooke, l’expansion de la ville fut motivée par la fuite des Montréalais vers
de logements plus salubres, de l’espace, de l’air plus pur et de la verdure qui
les feraient sortir de la ville industrialisée. La plupart des actuels
quartiers si identifiés à la montréalité urbaine, du Plateau jusqu’à
Montréal-Nord, furent créés par des promoteurs immobiliers qui, après avoir
acheté de grandes terres agricoles, vendirent aux urbains entassés dans la
basse ville, le rêve de la banlieue. Ces promoteurs créaient ensuite des
municipalités autonomes pour mieux financer les infrastructures, augmentant la valeur de leurs investissements, attirant ainsi encore plus de migrants de la ville, des campagnes et de l’étranger en quête d’un bout de terrain. Endettées, nombre de ces municipalités furent ensuite annexées à la Ville de Montréal.
Sur un territoire désormais urbanisé et densifié à partir de banlieues champêtre
d’une autre époque, les Montréalais d’une grande partie de l’île vivent
désormais en ville. Cela ne les empêche pas de continuer, comme il y a plus de cent ans, à rechercher et fuir à la fois
l’urbanité, en rêvant d’agriculture urbaine dans leur propre ville ou en
rejoignant les nouvelles banlieues développées sur le même modèle qu’en 1900
mais toujours plus éloignées. Comme dans la ville, dans l’inconscient de chaque
Montréalais, n’y a-t-il pas un côté rue et un côté ruelle ?
Jean-François Leclerc
L’histoire comme miroir déformant 1 juillet, 2012
Posté par francolec dans : Histoire,musée , ajouter un commentaire
Dans un article de Christian Rioux paru dans le journal Le Devoir, le 14 juin 2012, sous le titre « La Grèce à l’heure des choix. Au pays de
Platon, la raison n’a pas toujours raison », l’écrivain Nikos Dimou jette un regard très critique sur les mythes et demi-vérités historiques qui ont construit l’identité nationale grecque, contribuant au cul-de-sac social et économique actuel. L’auteur du best-seller pourtant ancien « Du malheur d’être Grecs », affirme : « Ce livre a été écrit en réaction au mythe créé par les colonels selon lequel les Grecs étaient une nation supérieure dont la gloire était éternelle, dit Nikos Dimou. Je voulais combattre cette mythologie et dire la vérité sur la Grèce. »
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/352445/la-grece-a-l-heure-des-choix
On sous-estime parfois l’importance du récit historique dans la constitution d’une nation ou d’une groupe, d’autant plus que
l’histoire contemporaine n’est plus en général au service d’une cause ou d’un pouvoir. L’histoire québécoise, et même montréalaise, participent à cette construction identitaire, parfois à leur corps défendant. La conscience historique populaire se forme lentement, à partir de récits anciens, plus ou moins orientés ou structurés, et de fragments piqués ici et là dans les manuels scolaires, la commémoration, le cinéma, les expositions et autres moyens de diffusion. Les historiens peuvent s’en laver les mains lorsqu’ils ne contribuent pas à cette diffusion, mais leurs travaux participent à cette construction, parfois malgré eux. Ils ont donc intérêt à collaborer activement au travail de diffusion, notamment avec les musées d’histoire qui sont des médiateurs professionnels bien ( ?) conscients des enjeux de la communication.
Le récit muséal est un des outils d’élaboration de la mémoire collective. Il est d’autant plus important pour chaque musée d’être conscient des présupposés de l’histoire qu’il transmet, de sa vision du monde, des biais idéologiques qui inconsciemment orientent ses choix. Cette conscience ne doit pas nous paralyser, ni aseptiser notre propos, mais plutôt nous inciter à mettre au clair et à expliciter nos choix historiques en tant que médiateurs. Cette conscience de nos propres biais doit aussi nous convaincre de donner aux visiteurs les moyens de mettre au défi ce que nous proposons.
La recherche d’une histoire commune est louable et probablement nécessaire pour toute société qui cherche à vivre ensemble. Le « Il était une fois » auquel s’attendent les visiteurs, celui d’une histoire cohérente et en apparence complète, nous ne pouvons y passer outre sans décevoir. Tout en respectant les acquis et lieux communs historiques qui font partie du bagage commun des visiteurs, il faut trouver les moyens d’insérer à ce récit relativement structuré qui donne toutes les apparences de l’unité, des sorties, des coins, des ouvertures, des contradictions et des débats. On évitera ainsi, malgré nous, de rendre aveugles sur leur propre société et ses travers, volontairement ou par omission, ceux pour qui nous faisons office d’experts.
Jean-François Leclerc
Le faux portrait de Jeanne Mance ou les interprétations historiques au musée 7 mars, 2011
Posté par francolec dans : blogue muséologie,Histoire,Image au musée,Jeanne Mance,muséologie , ajouter un commentaireAujourd’hui, la Ville de Montréal annonçait son intention de reconnaître le rôle de Jeanne Mance, une Française venue en 1642 aux côtés du soldat Maisonneuve pour fonder Ville-Marie, fort missionnaire à l’origine de Montréal. À la télévision, on nous montra pour la représenter un portrait bien connu du personnage, à la mine soumise et éteinte, du genre vieille fille un peu coincée. Gravé au 19e siècle et tout à fait fantaisiste, ce portrait est en effet devenu officiel à force d’être repris. Il est toujours étrange de constater combien l’image ancienne échappe souvent à la critique qu’on applique pourtant aux écrits et aux photographies contemporaines avec plus de rigueur. Pourtant, toute image est porteuse d’un message qu’il serait bien de décoder (voir ce lien de la Bibliothèque et archives nationales à ce sujet.)
http://www.banq.qc.ca/ressources_en_ligne/branche_sur_notre_histoire/personnages/imagerie.html
Cette actualité commémorative me permet de faire une association télévisuelle peut-être un peu tirée par les cheveux, mais qui sert bien mon propos. Allons-y. À Télé-Québec, la semaine dernière, le premier de la série documentaire Bienvenue dans le nano monde faisait état des recherches récentes en nanotechnologies, notamment celles portant sur le carbone, un élément fondamental de notre planète. On y parlait notamment d’un microscope qui permet de voir la surface de la matière comme un fascinant arrimage de particules, ceci faisant permettant d’imaginer qu’un jour, les objets ne seront plus produits par l’assemblage de blocs de matière, mais atome par atome. Un des scientifiques fit cette observation: autrefois, la matière était représentée par des symboles (chimiques et autres) et des schémas. Les images de l’infiniment petit obtenues par ces microscopes donnent des images saisissantes et plus proches de la réalité que celles des publications d’antan. Bien sûr, elles sont imparfaites comme toute représentation, comme le souligne le chercheur, et peuvent être parfois trompeuses. Pourtant, disait-il, elles sont nécessaires. En effet, selon lui, les chercheurs, comme tous les humains, ont besoin de ces représentations pour concevoir de nouvelles idées.
http://www.telequebec.tv/documentaire/documentaire.aspx?idCaseHoraire=102035182§ion=presentation
L’exposition permanente du Centre d’histoire de Montréal
Le musée d’histoire agit aussi comme ce microscope, mais de manière beaucoup plus artisanale. Il assemble des fragments de connaissances et de concepts historiques parfois complexes pour reconstituer le passé, le rendre perceptible et sensible. Pour y arriver, il tente de constituer un récit continu qu’il veut lisible et cohérent, à partir de textes, d’images et d’objets très divers disposés dans l’espace muséal. En cherchant à donner au visiteur l’impression d’un récit continu, malgré les contradictions et les trous de la recherche historique, le musée propose ce faisant, des interprétations de l’histoire qui ne sont pas toujours en concordance parfaite avec celles des historiens spécialistes sur lesquels il appuie son travail. Qui prend le temps de les décoder ? Rares pourtant sont ceux qui se sont penchés sur ces questions, sinon peut-être ici, Claude-Armand Piché, anciennement de Parcs-Canada. Donc, appel à tous, chercheurs de toutes disciplines, la matière ne manque pas !
Jean-François Leclerc
Muséologue