Pérou, or, histoire et sang 6 avril, 2013
Posté par francolec dans : blogue exposition,blogue muséologie,Collections,Commentaires expositions,Histoire de l'art,Incas,Mochicas,Musée des Beaux-Arts de Montréal,Pérou , ajouter un commentaire
Le Musée des Beaux-arts présente depuis quelques semaines l’exposition Pérou, royaume du soleil et de la lune. Il nous offre des pièces uniques de diverses collections. On y trouve les attendus ornements d’or et d’argent, certains spectaculaires, dont les représentations font partie de notre culture populaire depuis longtemps (qu’on pense à l’album de Tintin Le Temple du soleil). On aussi peut y admirer des pièces des Mochicas, dont plusieurs représentent des humains, de sensibles portraits qui nous donnent l’impression d’entrer en contact avec ce peuple. Autre attrait de cette riche exposition, des tissus aussi rares que magnifiques, dont certains viennent de la collection du MBA (d’ailleurs, ce musée devrait mettre en valeur sa collection de civilisation, et pourquoi pas, par une exposition d’interprétation permanente sur l’histoire des civilisations. La culture générale de nos concitoyens en serait enrichie). La présentation est honnête, avec un effort de mise en scène dont ne se prive heureusement pas le MBAM depuis quelques années. Il faut seulement regretter quelques insuffisances au niveau de l’éclairage, du support, de la lisibilité et de la disposition des cartels.
Il faut noter un certain décalage entre l’image choisie pour l’affiche vedette – un ornemant éblouissant , qui laisse croire à une exposition sur les civilisation précolombiennes, et les intentions des concepteurs. Le fil conducteur de l’exposition, que nous découvrons au cours de la visite, est en effet moins l’histoire et les cultures des peuples autochtones d’avant la Conquête espagnole, que celle de la construction identitaire de la nation péruvienne à travers son art national. L’indianité profonde du Pérou, écrasée par la conquête espagnole, fut récupérée par les penseurs et créateurs nationalistes bolivariens et leurs successeurs au 20e siècle qui voulaient se démarquer de la culture de leur ancienne métropole. Les archéologues jouèrent un rôle majeur dans cette redécouverte. Leur place dans l’exposition est donc importante.
http://www.mbam.qc.ca/bibliotheque/media/1-perou-communique-de-presse-mbam.pdf
Les salles consacrées aux peuples précolombiens nous convainquent du raffinement de leurs cultures jusqu’à la période de l’Empire inca et sa destruction violente par les Espagnols. Ce moment charnière se raconte pourtant, muséographiquement, dans les deux salles les moins riches de l’exposition. Le choc que fut l’arrivée des Espagnols est peu développé. Une pauvre reproduction du codex de Garcilaso de la Vega sur un mur, sert à évoquer la spoliation sanglante des nations autochtones par des aventuriers et militaires espagnols, avec l’assentiment de la monarchie espagnole et du clergé. L’autre salle est aménagée pour mettre en valeur un documentaire projeté sur grand écran et portant sur le pillage des tombes précolombiennes et la destruction du patrimoine. Des dizaines d’objets sont disposés dans la pénombre, sur des étagères évoquant les réserves archéologiques. Bel effort de mise en scène qui, malheureusement, se confond à du décor, alors que les objets quotidiens qu’elle montre témoignent pour la plupart de la vie quotidienne des populations précolombiennes sans les ors ni le luxe des objets rituels des salles précédentes.
Les autres salles nous présentent l’émergence chez les artistes péruviens d’un intérêt pour les cultures autochtones nationales. Après avoir vu le raffinement et la profondeur spirituelle et humaine de l’art des peuples précolombiens, les œuvres des époques suivantes, celles de la colonie espagnole et de la nation péruvienne, même fabriquées dans les matières les plus précieuses, nous paraissent bien fades, pâle reflet métissé de celles qui précèdent. Comme les textes nous l’indiquent, le génie créatif des premiers peuples doit désormais se camoufler derrière les valeurs, les croyances et les goûts des conquérants.
L’histoire du monde nous a habitué à bien des horreurs, mais ce qui se passa dans les Andes péruviennes et au Mexique fut une tragédie dont les peuples autochtones se relèvent à peine. Notre accès aux trésors de ces civilisations, il faut s’en souvenir, on le doit aux conquérants qui ont transformé leurs biens sacrés et leurs objets usuels en trésors, en or et en argent pour leurs coffres avant que les archéologues ne cherchent à en tirer d’utiles connaissances sur ces civilisations disparues. Comme visiteur intéressé par l’histoire autant que par l’art, j’aurais aimé que cette exposition fasse du choc humain et artistique de la conquête non pas un moments parmi d’autres d’une chronologie nationale, mais l’événement clé, destructeur et refondateur, qui aurait éclairé d’une lumière plus crue notre compréhesion de l’art du Pérou. Sans vouloir jouer les gérants d’estrade, connaissant trop bien le travail gigantesque que demande une exposition de cette envergure, j’aurais souhaité une exposition instructive qui soit moins classiquement pédagogique et linéaire. L’expérience aurait été à mon avis plus marquante.
Jean-François Leclerc