L’histoire locale: pour que notre existence n’ait pas été vaine 25 décembre, 2010
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Le Centre d’histoire de Montréal organisait à la mi-décembre, l’atelier Raconte-moi ton Parc-Extension pour le quartier du même nom qui célèbre son 100e anniversaire en 2010-2011.
Ce quartier montréalais fut développé à partir de 1907 par des promoteurs immobiliers pour attirer les familles ouvrières au nord de Montréal. D’abord habité par des immigrants britanniques et d’Europe de l’est, et quelques canadiens-français, il vit arriver après la Deuxième guerre mondiale des immigrants d’Europe du sud, en particulier de Grèce, qui seront remplacés peu à peu par des résidants du sous-continent indien. Cet atelier était destiné à initier les citoyens aux diverses manières de communiquer leurs connaissances et leur expérience du quartier : entrevues avec des proches et voisins, scrapbook, ligne de temps personnelle, vidéo etc. Des résidants anciens et récents de diverses conditions et langues s’y sont retrouvés avec plaisir pour travailler à une ligne de temps où leur perception de leur histoire personnelle venait s’insérer dans celle des moments clés de l’histoire du quartier.
On peut déjà faire quelques observations. Dans un quartier relativement tranquille, la mémoire des résidants se cristallise souvent autour des moments de changement personnels importants : arrivée, débuts de l’installation et de la découverte du quartier. Pour le reste, la vie familiale et le quotidien prennent le dessus et tendent à dissoudre la mémoire des événements dans la routine métro-boulot-dodo: difficile d’en démêler l’écheveau sans ces échanges soutenus de l’atelier et la stimulation par des dates, des images tirées des archives et des questions bien ciblées. Autrefois, et encore maintenant dans plusieurs cas, la vie de quartier est vécue plus intensément au quotidien par les femmes (du moins aux époques où elles étaient plus à la maison). Cette quête de témoignages est d’autant plus importante qu’autrefois, dans les quartiers ouvriers, peu de gens avaient des appareils photos ou des caméras pour capter leur vie de quartier, comme le soulignait un participant.
http://www.histoireparcextension.org/photos
Aux historiens ou muséologues travaillant sur de grands territoires, des sociétés et des phénomènes collectifs, les recherches des sociétés historiques locales peuvent paraître un peu refermées sur elles-mêmes, avec le seul souci d’accumuler des données, de colliger des faits, des dates et des noms. Si cette vision caricaturale et un peu hautaine rejoint parfois la réalité, elle méconnaît certainement le sens profond de ces actes patients qui construisent l’histoire locale par brindilles et grains de sable et explorent à la loupe l’évolution d’un territoire ou d’une communauté. Les musées aux thématiques et territoires plus vastes s’en font rarement l’écho parce que cette histoire risque de n’intéresser que quelques résidants d’un quartier ou d’un village, à moins qu’elle ne touche un lieu devenu emblématique pour tous les Montréalais d’une époque, comme un rue commerçante ou un lieu de culture populaire. Pourquoi alors accumuler dans le grand sablier déjà encombré de l’histoire ces micro-grains de sables ? Une ex-résidante du quartier, membre de la Société historique, eut cette réponse éclairante (que je paraphrase): « Ma famille a longtemps vécu ici, j’ai depuis déménagé. Je veux par ce travail donner un sens à notre passage dans ce quartier, je veux prouver que nos vies n’ont pas été inutiles. » Donner un sens à l’existence des peuples, des communautés, des individus si modestes soient-ils, c’est certainement ce qui, profondément, motive la plupart de ceux qui travaillent à dénicher et à comprendre la grande comme à la petite histoire.
Au-delà du besoin de connaître, c’est ce qui rend ce travail si émouvant et digne de respect.
Jean-François Leclerc
Muséologue